Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 novembre 2017 7 19 /11 /novembre /2017 16:43

Avant de vous remettre votre prix, permettez-moi, Madame, de vous livrer quelques réflexions que votre livre m’a inspirées.

    « Au Bazar de la Charité, cette semaine au cinéma : cadavres exquis »

    Voilà un titre, parmi d’autres, qui aurait pu faire la Une de Charlie Hebdo si ce journal satirique avait existé en 1897, au moment de ce tragique fait divers. L’incendie du Bazar de la Charité à Paris, à l’origine de votre roman, a fait plus de 120 morts lors d’une  vente caritative.

    Comment ne pas faire le parallèle avec l’incendie du 5/7, ce dancing où périrent en 1970, plus de 140 jeunes gens. Ils fêtaient en toute  insouciance leur  liberté, tandis que se mourait le Général de Gaulle, l’homme qu’ils avaient contribué à renvoyer chez lui ,après mai 1968 .Le journal Harakiri, qui allait  devenir Charlie Hebdo, titra une de ses Unes les plus célèbres : « Bal tragique à Colombey : un mort. »
    Ces deux drames ont ceci en commun qu’un début d’incendie accidentel se transforma très vite en tragédie, à cause du grand nombre de personnes confinées dans un bâtiment aux accès  restreints, et fait  de matériaux hautement inflammables et toxiques : la leçon de 1897 n’avait pas servi.

    L’histoire des hommes est faite d’une multitude d’incendies dont certains ont plus marqué les esprits par les tragédies vécues et leurs conséquences.
     Ainsi, la disparition des grands prédateurs, les dinosaures, suite à l’embrasement de toute la Terre , permit aux petits mammifères de survivre et aux Hommes d’apparaître plus tard : nous en sommes les descendants. De même, l’incendie de Rome, à l’origine incertaine, sous le règne de Néron qu’il attribua à cette nouvelle secte juive des Chrétiens et dont le martyr débuta. Tout comme Napoléon Ier qui vit son destin basculer après avoir atteint la ville de Moscou réduite en cendres par ordre du tsar.
    Aussi tragique soit-il, le feu semble souvent, malgré les malheurs qu’il déclenche, être la source d’un changement notoire, d’un renouveau dans la vie des Hommes, ou en tout cas déclencher de nouveaux questionnements.

    Vous connaissez l’histoire de cet oiseau de légende, Le Phénix,  qui après avoir vécu longtemps, se consume pour mieux renaître de ses cendres et démarrer une autre vie. Je me suis demandé en quoi votre livre n’était pas une nouvelle illustration de cette fameuse légende et j’ai trouvé quelques réponses.

    Paix à toutes celles et ceux (ils étaient peu nombreux) qui périrent dans ce monstrueux incendie  du Bazar de la Charité. La plupart des victimes étaient des dames de la Haute Noblesse qui jouaient les dames patronnesses, au service des plus pauvres.
    Parmi elles, la duchesse d’Alençon,  la  sœur d’Elisabeth d’Autriche dite Sissi. C’est un personnage clé de votre livre. Elle  fut un temps fiancée à son cousin, le Roi  Louis II de Bavière dont on connaît le destin tragique.
    Le XIXe siècle a été marqué en France par des va et vient entre  République, Empire et Monarchie, avec la religion catholique qui se battait pour conserver son emprise sur le peuple. En 1897, au moment de votre histoire,on était sous la IIIème République, depuis la fin du second  Empire . Cette République, maudite des nobles nostalgiques de la royauté, de l’Empire, mais aussi du clergé, fut accusée d’être la cause de ce désastre, certains y voyant la main de Dieu qui voulait se venger.
    Vaille que vaille, cette  République tint bon, promulgua  en 1901 la loi autorisant les associations, toujours en vigueur et surtout, en 1905, la loi de séparation de l’Église et de l’État. Hasard ou pas, il ne devait plus y avoir de retour à la monarchie après cette date, comme si, dévastée par ce drame digne de la Terreur, noblesse et clergé  se résignaient à vivre avec les lois de la  République.

    Il y a  plusieurs figures féminines emblématiques dans votre roman, dont Violaine de Raezal et Constance d’Estingel . Ces deux femmes ont en commun d’être rebelles, insoumises, luttant pour mener leur vie à leur façon, loin des contraintes  parentales ou sociétales. Le thème que vous abordez au travers d’elles, est celui de la condition féminine à cette époque. Si au XVIIIe, celui des Lumières et de la Révolution, le sort des femmes avait connu quelques avancées,  fin du XIXe, on assistait à un recul de cette condition féminine.
    Côté Noblesse, les femmes n’étaient bonnes qu’à devenir de bonnes épouses, d’autant plus convoitées quelles avaient de jolies dotes. A part tenir salon, se consacrer à la religion, faire des enfants et jouer les âmes charitables, elles n’avaient guère de liberté.
    Vous montrez le pouvoir qu’exerçaient sur elles leurs maris, libres de courir la gueuse comme bon leur semblait, ou faire interner de force les plus récalcitrantes de leur épouses.
    Vos deux héroïnes, comme Mary l’Américaine, sont les prédécesseures de ce mouvement de femmes qui va petit à petit prendre en main leur  sort pour améliorer leurs conditions de vie. C’est plus tard, lors du premier conflit mondial, proche, que ce mouvement va s’accélérer, les femmes démontrant aux hommes qu’elles pouvaient quasiment se passer d’eux.

    L’origine de l’incendie est lié à l’utilisation de l’éther pour allumer le projecteur de ce qu’on appelait à l’époque le cinématographe. Pour faire le buzz, l’organisateur de cette vente de charité avait accepté qu’une équipe fasse des projections des premiers films des frères Lumière. Lors du remplissage du réservoir de la lampe du projecteur, les vapeurs d’éther s’enflammèrent accidentellement et le feu se propagea à toute allure.
    Jusque-là, la communication se faisait oralement, par écrit ou par images fixes. Dorénavant le cinéma, avec ses images animées prenait date. Après cet accident, il faillit disparaître, certains l’accusant d’être trop dangereux.  Cela stimula les chercheurs qui trouvèrent d’autres techniques pour produire le faisceau de lumière du projecteur. Quand on sait l’ampleur et la place que l’image animée prit depuis cette époque, avec le cinéma, puis la télévision, la vidéo et les réseaux sociaux, on peut se demander si ce malheureux évènement n’a pas malgré tout contribué à accélérer le développement de notre actuelle dictature de l’image.
    
    Je pourrais aussi parler de la Médecine en particulier de la psychiatrie, qui à cette époque, prenait son essor, créant une nouvelle classe d’élites, qui avait le savoir, donc le pouvoir. Ses nouveaux mandarins intouchables privaient une fraction de l’ancienne noblesse de ses privilèges.
    De même, une nouvelle religion émergeait, celle du travail. Le développement de l’industrie et des échanges commerciaux avaient créé une nouvelle bourgeoisie fortunée qui n’avait de cesse que de singer l’ancienne noblesse, tandis que des cohortes d’ouvriers miséreux s’entassaient dans des quartiers insalubres après avoir quitté  leur campagne famélique.
    La société changeait, la belle époque pointait son nez, avec ses outrances, sa frivolité, son insouciance, le développement des arts. Oubliées les victimes de la Charité, peut-être pas, mais le Phénix renaissait de ses cendres : la vie reprenait le dessus.
    

    J’ajoute quelques mots sur votre ouvrage qui a eu la faveur des lecteurs du prix « complètement livres ! »  2016. S’il a plu, c’est parce qu’il mêle habilement une belle aventure humaine avec ses joies, ses peines, à la Grande Histoire, dans  un style sobre et efficace .
    J’y ai retrouvé le romanesque de Victor Hugo, le réalisme de Zola, la comédie humaine de Balzac, la psychologie de Flaubert, c’est dire. Ce roman écrit au XXIe siècle nous replonge dans cette période  agitée, romantique et romanesque à souhait que fut  le XIXe siècle, sans pour autant être désuet : c’est bien là votre force, votre talent.
    Ainsi, quand votre plume-caméra, en un long travelling tourbillonnant, nous montre par le menu ces pauvres malheureuses qui, dans un instinct de survie, se battent pour s’extraire des flammes, on est complètement choqué, hypnotisé par vos descriptions. Vous ne ménagez pas le lecteur, mais sans jamais l’écoeurer. On se croirait au cinéma.

    L’action se passe essentiellement dans le milieu aristocratique, mais vous nous faites partager aussi le quotidien des humbles qu’ils soient valets, cochers ou cuisiniers.
    On découvre aussi le Paris de la misère, de la crasse, des  maladies de cette époque où la protection sociale n’existait pas.
    Vous montrez aussi le rôle des journalistes de presse, déjà prêts à s’enflammer pour alimenter les fausses rumeurs ou dénoncer les injustices.

    Malgré le tragique du sujet, comme une respiration, vous ajoutez un peu de poésie, en évoquant ce pochetron de Verlaine,  Baudelaire, Heredia, Mallarmé et une parfaite inconnue pour moi, Marceline Desbordes -Valmore. Merci de l’avoir mise en lumière.

    Enfin, sans doute pour remercier vos lecteurs de leur persévérante  attention, après les avoir bien secoués avec cette dramatique et captivante  histoire, vous terminez en douceur, en finesse, en  présageant une fin heureuse pour celles et ceux de vos personnages qui le méritent, laissant les autres à leur triste sort.
     Le cinéma est un peu  à l’origine de votre roman. En retour, je vois dans votre livre un bon sujet pour un film de qualité. S’il est porté à l’écran, je rêverais d’y trouver : Francis Huster le sérieux, pour le rôle de Laszlo de Nérac, Isabelle Huppert pour le rôle tourmenté de Constance d’Estingel, Juliette Binoche pour la troublante Violaine de Raezal, pourquoi pas le colossal Gérard Depardieu dans le rôle du cocher. On peut toujours y croire.

    Merci à vous pour cet ouvrage qui, au-delà de l’histoire romanesque qu’il nous livre, nous fait réfléchir sur bien des sujets de société qui restent, plus d’un siècle plus tard, d’une brûlante actualité.


    

 

 

Partager cet article

Repost0

commentaires